Infertilité et procréation assistée, par Laura Gutman

Dans ce billet, Laura Gutman aborde la conception en lien avec la notion de réceptivité : dans quelle mesure sommes nous sur notre Yin ?

 

« Dans la plupart des cas d’infertilité, on ne connaît pas les causes. De nombreux facteurs physiques, psychiques et émotionnels interviennent dans la conception. Il y en a tant et ils sont si énigmatiques que ce serait ridicule de réduire la fertilité au fait d’injecter la bonne hormone au bon moment.

L’infertilité touche davantage les femmes qui ont du succès dans la sphère publique, qui travaillent entre soixante et quatre-vingts heures par semaine. Or pour concevoir un enfant, nous avons besoin de nous fondre dans un « état d’être » purement réceptif et calme et ce n’est pas quelque chose de programmable dans un agenda rempli d’obligations. Bien sûr, ce n’est pas le fait d’avoir un travail ou une profession qui affecte en soi la fertilité, mais le fait que le travail soit investi de notre identité, notre désir, notre libido. L’enthousiasme déployé au sein de nos projets créatifs, la « lutte » que nous entreprenons chaque jour pour être prises en compte, valorisées et respectées dans le monde masculin nous remplit d’adrénaline, de vitalité, de désir et de passion. Il s’agit d’une énergie très positive et enflammée, qui se traduit par de l’argent, du succès, de la reconnaissance et de l’ascension sociale. Et en même temps, il s’agit d’une énergie très peu réceptive. Parfois, nous ne nous prenons même pas le temps de passer des vacances à deux. C’est difficile pour un embryon de décider de faire son nid dans un foyer si peu accueillant.

Alors nous tentons de tomber enceinte en nous tournant vers ce que l’on connaît : l’action. Les propositions de procréation assistée ont l’avantage attractif « qu’il y a plein de choses à faire », et dans le « faire », nous nous sentons sûres de nous.

La procréation assistée a des qualités extraordinaires. Mais elle fonctionne également à contre-pied d’une sagesse ancestrale : c’est l’orgasme qui est fécondant. Les techniques de procréation les plus avancées ignorent que le stress -produit par les méthodes mêmes de procréation- est le principal responsable des maigres résultats lors de la conception. C’est pourquoi pour débuter un tel processus, les couples ont besoin d’être très solides. Leur relation de couple doit être riche en dialogue, accompagnement, générosité et engagement réciproque.

On peut s’interroger de mille façon face à un couple en situation d’infertilité. Mais il est essentiel de regarder en face ce que chacun est prêt à sacrifier en faveur du bébé et d’être honnête par rapport à nos expériences en lien avec la liberté, le travail, le succès, les voyages et l’autonomie personnelle. C’est un moment unique pour apprendre à aimer ce que l’on reçoit au lieu de recevoir ce que l’on aime. »

– Laura Gutman  ~ Traduction Brigitte Rietzler (Temesira)

Laura Gutman est psychothérapeute familiale argentine et auteure de nombreux ouvrages. Partant des cas cliniques qu’elle accompagne depuis des décennies, elle n’a de cesse de remonter aux blessures originelles et aux expériences d’abandon, de manque d’amour, de désert émotionnel, de violences vécues pendant l’enfance, pour mettre en lumière les stratégies de survie qui sous-tendent nos comportements et l’organisation de nos vies affectives adultes. Afin de pouvoir démonter nos « personnages », changer et vivre -enfin- depuis notre Être essentiel.

Le Yin, kesako et en quoi nous rend-il plus forts ?

Nous vivons dans un monde speed, où l’action et la performance sont encensés et l’intériorité, la lenteur ou les attitudes plus posées au contraire peu valorisées. Notre masculin (que l’on soit homme ou femme) est développé à outrance tandis que notre féminin est parfois enfoui, en sommeil…En toute logique, nous devrions rechercher l’équilibre, harmoniser nos contraires. Pourtant, pour lâcher le stress engendré par ce mode de vie, nous nous tournons en grande majorité vers des activités physiques qui accentuent le mouvement, la rapidité, le faire. En yoga par exemple, on constate que les cours qui ont le plus de succès sont les cours dynamiques et rapides : ashtanga, power, vinyasa flow… Effectivement peut-être qu’en nous poussant toujours plus on finit par lâcher et se rendre, me direz-vous? Certes, mais on sollicite aussi toujours les mêmes parties de nous, de notre corps. Et si d’autres façon de lâcher prise s’offraient à nous? d’autres territoires peut-être moins confortables à explorer, mais d’autant plus enrichissants, complémentaires, qui nous permettent d’accepter et d’intégrer nos différentes facettes?

Suzanne Yates, fondatrice de Well Mother, praticienne et formatrice en shiatsu, spécialement autour de la maternité (période Yin par excellence) a choisi de partager la réflexion de Rosa Lia, sa fille, jeune professeure de yoga et praticienne en massage thaï, qui évoque son exploration du Yin.

« Par un soir de pleine lune, j’étais debout sous un banian dans le sud-est de l’Inde.
Un banian est un arbre qui a l’air de prendre l’air pour la terre : ses racines aériennes pendent de ses branches, certaines sont larges et solides, d’autres fines et en mouvement. C’était un vieil arbre, de plusieurs mètres de large. Le simple fait de me tenir debout à côté me faisait sentir lourde, comme si je m’enfonçais dans la terre – comme s’il me soutenait.
J’ai grimpé en utilisant ses racines pour me hisser. J’ai trouvé une place pour m’asseoir sur une de ses grosses branches et j’ai enlevé mes chaussures, reposant mes pieds sur l’écorce. La pleine lune était lumineuse et magnétique. Vivante et éveillée.

banian

Tout le mois, j’avais étudié le Massage Thai  avec un chamane indien adopté par des parents suisses et qui avait grandi en Thaïlande. Il nous avait donné des exercices pour équilibrer nos côtés droits et gauches. Cela commençait par respirer dans nos mains et observer laquelle était la plus lourde. Pour moi, c’était toujours le côté droit le plus lourd.
Dans la tradition indienne, le côté droit est appelé Pingala et le gauche, Ida. En Chine, on parle du Yang et du Yin. Le côté droit représente le masculin, le soleil, la force, le feu, le jour et l’action tandis que le côté gauche est en lien avec le féminin, la lune, la douceur, la terre, la nuit et le repos.

Mon prof de massage m’avait dit que mon côté droit était dominant. J’avais commencé à me demander pourquoi. Et j’ai réalisé que je croyais que le Yang était plus fort, donc meilleur. Je n’arrivais pas à me défaire de l’idée que le Yin était faible, donc moins bien.

YinYang

Assise dans le banian, j’ai senti sa force. Sa force féminine. Pas la force impétueuse et rapide de la flèche qui pointe vers un but. C’était une force de nature différente. Une force plus tranquille. La force de l’endurance, de l’être, du soutien, de la transformation de la boue en feuilles vertes. Être plutôt que faire.
Dans notre monde, on apprend souvent qu’être fort, c’est prendre le contrôle de sa vie. On nous pousse sans cesse à changer, s’améliorer, être plus actif, poser des objectifs et les atteindre. Et pourtant, tellement d’aspects de notre vie échappent au contrôle. La météo, par exemple. Et que fait l’arbre? Il prend l’eau quand il pleut et les rayons du soleil lorsqu’il brille. Il ne demande rien de plus ; il n’essaie pas d’aller plus loin. Il s’abandonne aux forces de la nature et malgré cette imperturbabilité, ce calme, il vit bien plus longtemps que nous.

Quelques jours plus tard, j’ai parcouru l’Inde en train jusqu’à la côte ouest. J’ai commencé ma formation de prof de yoga par une semaine d’Ashtanga -une pratique Yang, dynamique et plutôt rapide de poses sous forme de séries. A la fin de ces cours, je sentais tout mon corps, mes muscles et les battements de mon coeur.  J’avais des rougeurs tout le long de mes bras, comme si mon corps était en train de se détoxiner. Toute l’énergie du groupe était teintée par nos egos, notre désir de compétition, de pousser, d’aller plus loin. Un de nos profs nous a dit “Si c’est ce qui sort, alors faites y face. Rencontrez vos ego sur votre tapis.”
A la fin de la semaine, on était lessivés et le rythme des cours avait un peu ralenti. En fin de journées, nos profs nous initaient au Yin.
Les gens avaient l’air d’adorer ou de détester. D’adorer les postures -profondes et méditatives- d’ouverture des hanches, ou de détester la lenteur, l’ennui, la sensation de ne pas mobiliser ses muscles pour se sentir stable et en sécurité.

Le Yin est plus profong, plus caché. Dans le corps, cela se traduit par les articulations et le tissu conjonctif (ligaments, tendons) plutôt que les muscles. Tenir les poses vous y amène. Cela vous met face à « jusqu’à quel point je peux lâcher prise?, m’abandonner? » Sans parler du fait que nous passons tellement de temps assis (à notre bureau, en voiture, sur notre canapé) que les muscles de notre plancher pelvien sont raccourcis et que les étirer, ouvrir nos hanches…c’est comme ouvrir une porte. Le Yin est caché, secret et doux. Pas surprenant alors qu’ouvrir cette porte puisse aussi ouvrir la porte de nos émotions et parfois libérer nos larmes.

J’ai donc quitté l’Inde avec la sensation d’être pleinement en contact avec mon Yin. Un être humain équilibré.

Rosa-Lia-Indian Temple

A peine un mois plus tard, lors d’une retraite au centre de la Sardaigne, je me suis retrouvée en pleine conversation avec une femme originaire de Belgique, qui avait travaillé toute sa vie en tant qu’infirmière. Elle m’a dit que j’était très « feu ». J’ai senti la déception pointer, car j’avais l’impression d’avoir beaucoup travaillé mon Yin et mon ancrage à la Terre. On a fini par parler de la colère. Une qualité Yang. Elle m’a fait voir qu’il n’y avait rien de  mal à avoir de la colère.
“On en a besoin. On a besoin de la comprendre et d’utiliser sa force de façon adéquate, mais on en a besoin. On en a besoin pour aimer. Parce que si notre amour n’est que douceur, on ne pourra plus se relever et aimer à nouveau. Ou passer les murs et les défenses de l’autre pour permettre à l’amour d’entrer.”

Constant mouvement de va-et-vient entre le Yin et le Yang. Et il devient évident, même si je ne sais pas toujours bien comment le vivre, que la vraie force n’est ni douce ni dure, mais les deux à la fois. Que nous avons besoin de direction, concentration, but et détermintation Yang et à la fois de l’acceptation, de l’endurance et du lâcher prise Yin. Je suis persuadée que nos corps contiennent plus d’information que des milliers de livres, si nous écoutons, si nous regardons ce qu’ils nous disent en mouvement ou dans l’immobilité. Si nous observons comment cela affecte nos pensées et nos sensations. »

Source : http://www.elephantjournal.com/2015/06/what-is-yin-how-can-it-make-you-stronger/
Photo « Indian Temple » by Rosa Lia

Traduction : Brigitte Rietzler ~ Temesira