Le Yin, kesako et en quoi nous rend-il plus forts ?

Nous vivons dans un monde speed, où l’action et la performance sont encensés et l’intériorité, la lenteur ou les attitudes plus posées au contraire peu valorisées. Notre masculin (que l’on soit homme ou femme) est développé à outrance tandis que notre féminin est parfois enfoui, en sommeil…En toute logique, nous devrions rechercher l’équilibre, harmoniser nos contraires. Pourtant, pour lâcher le stress engendré par ce mode de vie, nous nous tournons en grande majorité vers des activités physiques qui accentuent le mouvement, la rapidité, le faire. En yoga par exemple, on constate que les cours qui ont le plus de succès sont les cours dynamiques et rapides : ashtanga, power, vinyasa flow… Effectivement peut-être qu’en nous poussant toujours plus on finit par lâcher et se rendre, me direz-vous? Certes, mais on sollicite aussi toujours les mêmes parties de nous, de notre corps. Et si d’autres façon de lâcher prise s’offraient à nous? d’autres territoires peut-être moins confortables à explorer, mais d’autant plus enrichissants, complémentaires, qui nous permettent d’accepter et d’intégrer nos différentes facettes?

Suzanne Yates, fondatrice de Well Mother, praticienne et formatrice en shiatsu, spécialement autour de la maternité (période Yin par excellence) a choisi de partager la réflexion de Rosa Lia, sa fille, jeune professeure de yoga et praticienne en massage thaï, qui évoque son exploration du Yin.

« Par un soir de pleine lune, j’étais debout sous un banian dans le sud-est de l’Inde.
Un banian est un arbre qui a l’air de prendre l’air pour la terre : ses racines aériennes pendent de ses branches, certaines sont larges et solides, d’autres fines et en mouvement. C’était un vieil arbre, de plusieurs mètres de large. Le simple fait de me tenir debout à côté me faisait sentir lourde, comme si je m’enfonçais dans la terre – comme s’il me soutenait.
J’ai grimpé en utilisant ses racines pour me hisser. J’ai trouvé une place pour m’asseoir sur une de ses grosses branches et j’ai enlevé mes chaussures, reposant mes pieds sur l’écorce. La pleine lune était lumineuse et magnétique. Vivante et éveillée.

banian

Tout le mois, j’avais étudié le Massage Thai  avec un chamane indien adopté par des parents suisses et qui avait grandi en Thaïlande. Il nous avait donné des exercices pour équilibrer nos côtés droits et gauches. Cela commençait par respirer dans nos mains et observer laquelle était la plus lourde. Pour moi, c’était toujours le côté droit le plus lourd.
Dans la tradition indienne, le côté droit est appelé Pingala et le gauche, Ida. En Chine, on parle du Yang et du Yin. Le côté droit représente le masculin, le soleil, la force, le feu, le jour et l’action tandis que le côté gauche est en lien avec le féminin, la lune, la douceur, la terre, la nuit et le repos.

Mon prof de massage m’avait dit que mon côté droit était dominant. J’avais commencé à me demander pourquoi. Et j’ai réalisé que je croyais que le Yang était plus fort, donc meilleur. Je n’arrivais pas à me défaire de l’idée que le Yin était faible, donc moins bien.

YinYang

Assise dans le banian, j’ai senti sa force. Sa force féminine. Pas la force impétueuse et rapide de la flèche qui pointe vers un but. C’était une force de nature différente. Une force plus tranquille. La force de l’endurance, de l’être, du soutien, de la transformation de la boue en feuilles vertes. Être plutôt que faire.
Dans notre monde, on apprend souvent qu’être fort, c’est prendre le contrôle de sa vie. On nous pousse sans cesse à changer, s’améliorer, être plus actif, poser des objectifs et les atteindre. Et pourtant, tellement d’aspects de notre vie échappent au contrôle. La météo, par exemple. Et que fait l’arbre? Il prend l’eau quand il pleut et les rayons du soleil lorsqu’il brille. Il ne demande rien de plus ; il n’essaie pas d’aller plus loin. Il s’abandonne aux forces de la nature et malgré cette imperturbabilité, ce calme, il vit bien plus longtemps que nous.

Quelques jours plus tard, j’ai parcouru l’Inde en train jusqu’à la côte ouest. J’ai commencé ma formation de prof de yoga par une semaine d’Ashtanga -une pratique Yang, dynamique et plutôt rapide de poses sous forme de séries. A la fin de ces cours, je sentais tout mon corps, mes muscles et les battements de mon coeur.  J’avais des rougeurs tout le long de mes bras, comme si mon corps était en train de se détoxiner. Toute l’énergie du groupe était teintée par nos egos, notre désir de compétition, de pousser, d’aller plus loin. Un de nos profs nous a dit “Si c’est ce qui sort, alors faites y face. Rencontrez vos ego sur votre tapis.”
A la fin de la semaine, on était lessivés et le rythme des cours avait un peu ralenti. En fin de journées, nos profs nous initaient au Yin.
Les gens avaient l’air d’adorer ou de détester. D’adorer les postures -profondes et méditatives- d’ouverture des hanches, ou de détester la lenteur, l’ennui, la sensation de ne pas mobiliser ses muscles pour se sentir stable et en sécurité.

Le Yin est plus profong, plus caché. Dans le corps, cela se traduit par les articulations et le tissu conjonctif (ligaments, tendons) plutôt que les muscles. Tenir les poses vous y amène. Cela vous met face à « jusqu’à quel point je peux lâcher prise?, m’abandonner? » Sans parler du fait que nous passons tellement de temps assis (à notre bureau, en voiture, sur notre canapé) que les muscles de notre plancher pelvien sont raccourcis et que les étirer, ouvrir nos hanches…c’est comme ouvrir une porte. Le Yin est caché, secret et doux. Pas surprenant alors qu’ouvrir cette porte puisse aussi ouvrir la porte de nos émotions et parfois libérer nos larmes.

J’ai donc quitté l’Inde avec la sensation d’être pleinement en contact avec mon Yin. Un être humain équilibré.

Rosa-Lia-Indian Temple

A peine un mois plus tard, lors d’une retraite au centre de la Sardaigne, je me suis retrouvée en pleine conversation avec une femme originaire de Belgique, qui avait travaillé toute sa vie en tant qu’infirmière. Elle m’a dit que j’était très « feu ». J’ai senti la déception pointer, car j’avais l’impression d’avoir beaucoup travaillé mon Yin et mon ancrage à la Terre. On a fini par parler de la colère. Une qualité Yang. Elle m’a fait voir qu’il n’y avait rien de  mal à avoir de la colère.
“On en a besoin. On a besoin de la comprendre et d’utiliser sa force de façon adéquate, mais on en a besoin. On en a besoin pour aimer. Parce que si notre amour n’est que douceur, on ne pourra plus se relever et aimer à nouveau. Ou passer les murs et les défenses de l’autre pour permettre à l’amour d’entrer.”

Constant mouvement de va-et-vient entre le Yin et le Yang. Et il devient évident, même si je ne sais pas toujours bien comment le vivre, que la vraie force n’est ni douce ni dure, mais les deux à la fois. Que nous avons besoin de direction, concentration, but et détermintation Yang et à la fois de l’acceptation, de l’endurance et du lâcher prise Yin. Je suis persuadée que nos corps contiennent plus d’information que des milliers de livres, si nous écoutons, si nous regardons ce qu’ils nous disent en mouvement ou dans l’immobilité. Si nous observons comment cela affecte nos pensées et nos sensations. »

Source : http://www.elephantjournal.com/2015/06/what-is-yin-how-can-it-make-you-stronger/
Photo « Indian Temple » by Rosa Lia

Traduction : Brigitte Rietzler ~ Temesira

Est-ce que je peux vraiment allaiter mes jumeaux pour les nourrir? Le récit de Marina pour "A Beautiful Body Project".

Marina raconte comment se dévoiler lors de la séance photo pour A Beautiful Body Project rimait pour elle au début avec l’exposition au grand jour des failles et des ratés de son corps. Hésitante à se faire tirer le portrait en tant que maman allaitante, titre dans son esprit réservé aux mères pratiquant l’allaitement exclusif, ces « vraies » mères allaitantes dont les bébés n’ont jamais vu un biberon ni goûté une goutte de lait artificiel.

Mais voila, l’allaitement, ça s’est pas vraiment passé comme ça pour elle.

Après être passée par les affres de l’infertilité, de la FIV, d’un accouchement déclenché qui se termine par une ventouse, elle a “appris à ne pas faire entièrement confiance à son corps”, comme s’il lui manquait cette sagesse maternelle innée que beaucoup de femmes ressentent. Malgré cela, elle était décidée à allaiter. Quelques minutes seulement après la naissance de son second fils, les deux garçons, déposés sur sa poitrine, ont commencé à téter. Enfin quelque chose qu’elle pouvait faire, un des processus du maternage que son corps était capable de faire.

Après 2 semaines pourtant, elle sent que quelque chose ne tourne pas rond. Pleurs incessants et perte de poids des bébés, bataille avec elle-même pour tenir son intention : supplémentation, extraction de lait, ses bébés au sein non-stop, des litres de tisanes pour produire du lait ingurgités…mais les pleurs des petits continuent. Elle aussi en  pleure, seule, enfermée dans sa salle de bain. Elle pleure ce corps défaillant pour elle, mais aussi pour ces deux beaux bébés qui dépendent d’elle pour être nourris.

Lorsque son mari leur donne leur premier biberon, elle en larmes tout du long. Le lait artificiel synonyme de baiser mortel de l’allaitement auquel elle croyait. Les petits dévorent le bib, s’endorment saouls de lait. Ce biberon de lait faisait ce que ses seins étaient incapables de faire. Elle déteste alors ses seins pour ne pas donner assez et elle-même pour ne pas être assez : un grand sentiment d’échec et de ressentiment envers son corps, qui ramène en bloc le souvenir de toutes ces années d’infertilité, faisant écho à la douleur et aux insécurités de cette période.

Depuis, elle a fait la paix avec son corps et avec l’histoire de son allaitement. Elle ressent toujours de temps à autre du ressentiment et de la culpabilité envers son corps qui n’a pas pu donner à ses petits l’allaitement exclusif qu’elle souhaitait pour eux. Marina apprend à aimer son corps pour tout ce qu’il fait, mais aussi pour ce avec quoi il a lutté. Elle chérit le miracle d’avoir pu concevoir ces 2 incroyables bébés en dépit de tout et dévoile sa fierté d’avoir pu les avoir si longtemps au sein : lorsqu’ils lèvent les yeux vers elle, leurs petits sourires à deux dents lui rappellent que ces moments sont précieux et qu’à leurs yeux, elle est cette « vraie » maman allaitante qui réussit et qu’ils aiment de façon inconditionnelle malgré ce qu’elle perçoit comme ses failles.

Ce n’est certes pas comme ça qu’elle avait envisagé la maternité. Ses seins n’ont pas tout pu apporter à ses bébés et ils adorent désormais les aliments solides. Mais ils s’endorment encore au sein en caressant son cou, ils rampent pour téter s’ils se sont fait mal ou qu’ils ont peur et ils se donnent la main et jouent avec les cheveux de l’autre lorsqu’ils sont au sein ensemble. Cette expérience lui a appris à aimer son corps allaitant, même s’il est un peu mou et manque de tonus. Elle chérit tous ces moments d’intimité et de complicité avec ses bébés et s’émerveille de toutes les petites choses que son corps a accomplies et continue de faire.

Photos et récit recueillis par Ashley Nayler, l’une des photographes thérapeutiques pour A Beautiful Body Project, basée dans l’Ontario (Canada).

Pour en savoir plus sur son travail, vous pouvez aussi la suivre sur Facebook/ashnaylerphotography

Source :  A Beautiful Body Project  ~Traduction Brigitte Rietzler // Temesira

 

 

La naissance de notre “devenir mère”

Laura Gutman, psychothérapeute familiale et écrivaine argentine, aborde la période post-natale et le « devenir maman » à travers le prisme de la fusion émotionnelle maman-bébé. Elle invite chaque nouvelle maman à cheminer dans son propre labyrinthe intérieur, à regarder avec honnêteté ce qu’elle vit et les aspects non-résolus de son passé qui resurgissent, afin de pouvoir s’en libérer et de trouver les ressources qui lui permettront de mieux prendre soin de l’enfant qui vient au monde.

 

Qui ne se souvient pas d’avoir passé son enfance à s’entraîner avec ses poupées à bercer, calmer, habiller, déshabiller, gronder et endormir un bébé? Et pourtant, lorsqu’un “vrai” bébé, le notre en l’occurrence, fait irruption dans notre vie d’adulte, quelle surprise de constater que le petit monstre que nous avons dans les bras et qui se borne à hurler aux pires moments est à mille lieux du bébé dont nous avons tant rêvé. Et que non, les bébés ne font pas que manger et dormir ! En réalité nous nous retrouvons prisonnières d’un être vorace, bougon, aux besoins intenses et aux demandes impossibles à combler. 

Cette surprise, justement, ne viendrait-elle pas de notre ignorance du phénomène de “fusion émotionnelle” quand, en tant que femme, nous entrons dans l’étape de la maternité ? Pour bien aborder ce concept, il est nécessaire de s’ouvrir au fait que la réalité n’est pas seulement constituée d’éléments visibles, concrets et palpables, mais aussi de mondes subtils, de champs émotionnels, perceptifs, intuitifs et spirituels qui, bien qu’invisibles, tirent pourtant le fil de notre vie consciente.

Concernant la dyade maman-bébé, il est important de comprendre que les deux appartiennent au même territoire émotionnel -telles deux gouttes d’eau dans l’océan-, et que cette union sans limites précises perdure, malgré la séparation des corps dès l’accouchement et la naissance du petit.

“Fusion émotionnelle” entre maman et bébé signifie que nous sentons la même chose, percevons la même chose, et ce, quelle que soit l’origine de la sensation, que le sentiment appartienne au présent, au passé ou au futur, car ces frontières temporelles n’existent pas dans le monde émotionnel. De fait, en tant que mère, quand un son trop fort nous est intolérable, s’il y a trop de gens autour de nous et que cela nous angoisse, ou que nos seins se remplissent quelques secondes avant qu’il ne se réveille, c’est que nous “ressentons comme un bébé”. De même, le bébé “ressent comme sa maman” lorsqu’il exprime à travers les pleurs ou une maladie, chaque situation émotionnelle face à laquelle nous nous sentons démunies : l’exigence du partenaire, les difficultés économiques, l’absence ou l’éloignement de notre propre mère, les pertes affectives, etc.

Le plus impactant de toute cette prise de conscience liée à la “fusion émotionnelle”, est que l’enfant vit le vécu de notre propre enfance comme s’il était le sien, s’actualisant et se manifestant dans son corps. Notamment ces vécus que nous avons “oubliés”, passés “dans l’ombre”. La véritable difficulté de la jeune mère n’est finalement pas tant de s’occuper correctement du bébé, que de se confronter à sa propre douleur face à la résurgence de ses peines de petites filles non cicatrisées. Devenir réellement adulte, c’est prendre conscience que nous avons désormais à notre disposition toutes les ressources émotionnelles pour assumer pleinement notre vécu et les choix que nous avons pu faire.

Concrètement, pourquoi ne pas faire l’essai aujourd’hui -quand nous n’arrivons pas à calmer  notre bébé en lui offrant le sein, en le berçant, en lui parlant, ou en l’emmenant se promener-, de nous remémorer une situation douloureuse ou non résolue de notre enfance, en rapport avec le lien avec nos parents ? En réussissant à faire remonter un vécu significatif, nous pourrons peut-être identifier et nommer avec des mots simples cette douleur, cette souffrance, colère ou honte que l’enfant perçoit en nous. En lui disant la difficulté ou le désaccord que nous vivons actuellement avec notre partenaire, les soucis concernant le manque de travail, le ras-le-bol des malentendus avec la voisine, ou même l’angoisse sourde pour cette amie qui a émigré. Force sera de constater qu’il se calmera. Parce qu’il saura de quoi il s’agit.

Et quoi de plus précieux, pour chacune d’entre nous, que de prendre conscience de certains sentiments que nous avions écartés parce qu’ils nous semblaient vieux, obsolètes ou sans valeur. Ainsi nos enfants -miroirs de l’âme maternelle- nous aident à nous reconnaître telles que nous sommes et nous invitent à donner la priorité à ce que nous avons à régler avec nous-mêmes. Nos bébés pleurent nos peines, vomissent nos ras-le-bol, se recouvrent de nos intoxications émotionnelles et se rendent malades de nos incapacités à nous regarder avec honnêteté.

Cela ne veut pas dire que nous devons avoir une vie exemplaire, ni que nous sommes “coupables” de ce qui arrive à nos enfants. L’acte de materner est au contraire une opportunité pour nous, les femmes, de découvrir le moyen de nous connecter à notre monde émotionnel richissime, de nous comprendre et de nous respecter. Le fait que notre enfant soit confronté à nos désirs et fantasmes refoulés nous oblige à nous poser des questions existentielles, intimes, authentiques et profondément féminines.

Non, nous ne devenons pas mères d’office au moment où nous accouchons de l’enfant. C’est lorsque nous vivons un moment de désespoir, de folie et de solitude au milieu de la nuit avec notre enfant dans les bras, quand la logique et la raison ne nous sont d’aucune aide, que nous nous retrouvons coupées de toute notion du temps, que la fatigue est sans fin et qu’il ne nous reste plus qu’à nous en remettre à cet enfant qui exprime notre moi profond et que nous ne pouvons pas faire taire, c’est alors que nous pouvons dire que notre mère intérieure est née.

Laura Gutmanhttp://www.lauragutman.com.ar/

Article publié dans la revue « Rêve de Femmes » n°28 – Automne 2012, p.22-23 ~ traduit par Brigitte Rietzler // Temesira

Illustration « Fusión » © Lorena Franzoni